Angelika Kauffmann, portraitiste du 18e siècle
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Angelika Kauffmann, portraitiste du 18e siècle
Source : swissinfo.ch
► LIEN sur l'article orginal
La peintre Angelika Kauffmann, née à Coire, a conquis l’Europe entière au 18e siècle. Enfant prodige, elle s’imposa plus tard à Londres comme une superstar. Le Kunstpalast de Düsseldorf lui consacre une grande exposition qui met aussi en évidence ses talents de réseauteuse.
Fou d'Angelika Kauffman - le titre de l’exposition de Düsseldorf reflète l’engouement suscité en Europe au 18e siècle par la peintre suisse au sommet de son art. Folle d’elle, la curatrice Bettina Baumgärtel l’est aussi, concède-t-elle avec un sourire.
Cette experte renommée s’intéresse depuis une trentaine d’années à l’artiste dont la vie a débuté à Coire et s’est achevée à Rome. Au Panthéon de la ville sainte, son buste se trouve à côté de celui de Raphaël, un des maîtres de la Renaissance.
L’histoire de cette femme est celle d’un succès impressionnant basé sur le talent, l’ambition et une planification ciblée, raconte Bettina Baumgärtel: «Elle a construit sa carrière avec une forte conscience de soi et savait très exactement ce qu’elle voulait».
Née en 1741, Angelika Kauffmann est la fille d’une sage-femme suisse et d’un peintre autrichien. Son père Joseph Johann Kauffmann reconnaît très tôt son énorme talent. Il s’efface alors pour soutenir sa fille, l’emmenant en voyage en Suisse, en Autriche et en Italie du Nord où la fillette peut faire étalage de ses talents dans les cours d’Europe. «Elle avait déjà des commandes quand elle était enfant et adolescente, également de familles nobles», dit Bettina Baumgärtel. Ainsi, elle a 16 ans quand elle réalise à Coire le portrait du fils d’Anton von Salis Soglio, un membre de la noblesse.
Gloire précoce
C’est également à cet âge qu’Angelika Kauffmann perd sa mère, en 1757. Cleophea Lutz était une femme cultivée et lui avait enseigné le chant et les langues, ce dont elle a profité pendant toute sa vie. «L’influence de sa mère n’a pas encore été suffisamment étudiée», remarque la curatrice. Ce n’est d’ailleurs qu’après la mort de Cleophea Lutz qu’Angelika décide de faire carrière en peinture et non dans le chant. Elle fixera ce moment quelques décennies plus tard dans son autoportrait «Au carrefour de la musique et de la peinture», une toile réputée qui est également accrochée à Düsseldorf.
De 1760 à 1766, le père et sa fille voyagent en Italie où elle copie les grands maîtres dans les galeries et les palais, à une époque où les femmes ne peuvent pas étudier dans les académies de peinture. Elle n’a que 22 ans quand elle arrive à Rome, y posant les premiers jalons de sa carrière grâce à des portraits de voyageurs européens qui effectuent leur «Grand Tour» d’Europe. Ces clients ramènent ensuite les toiles dans leur patrie comme témoignage de leur éducation et de leur culture. C’est ainsi que l’Angleterre découvre la jeune femme.
Plusieurs nations revendiquent cette artiste. La Suisse, de par sa mère et parce qu’elle est née à Coire (bien qu’à l’époque, les Grisons ne faisaient pas partie de la Suisse); l’Autriche, parce que son père venait de Bregenz, qu’elle y passa beaucoup de temps et y a entretenu toute sa vie des liens avec sa famille; et l’Italie parce que c’est le pays où elle a travaillé le plus longtemps et où elle est enterrée. Mais Angelika Kauffmann résistait à ces tentatives d’assimilation. «Elle disait d’elle-même qu’elle était chez elle dans le monde entier», raconte Bettina Baumgärtel. «Elle se définissait comme une artiste internationale.»
Superstar à Londres
En 1766, la peintre quitte Rome pour Londres, en pleine effervescence culturelle où se trouve par exemple aussi Georg Friedrich Händel. Elle ouvre un atelier où présenter son travail alors qu’une noble Anglaise l’introduit dans la société où elle connaît rapidement un grand succès comme portraitiste. «Ses portraits avaient un style particulier qu’elle entretenait et qui est devenu une véritable mode: une expression du visage très franche légèrement teintée d’idéalisme», explique Bettina Baumgärtel.
En 1768, Angelika Kauffmann est la seule femme aux côtés de sa contemporaine Mary Moser à figurer parmi les membres fondateurs de la Royal Academy of Arts. Plus tard, elle aura l’honneur de réaliser quatre grandes peintures pour les plafonds du nouveau bâtiment de l’Académie, une véritable marque de reconnaissance. Ces peintures sur toile sont présentées à Düsseldorf pour la première fois hors d’Angleterre.
L’exposition présente également Angelika Kauffmann sous un autre angle, celui de l’«influenceuse» et de la «réseauteuse». Ce vocabulaire est certainement destiné à un jeune public familier des médias sociaux, mais il se justifie. Parce que la peintre a utilisé des stratégies que la génération Instragram d’aujourd’hui connaît bien. «Elle s’est entourée de personnalités connues qui revalorisaient considérablement son statut social», raconte la curatrice. On pouvait aussi assister à des séances de peinture dans son atelier puis s’en glorifier. Ces performances ont contribué à sa notoriété. Angelika Kauffmann était «une superstar et une icône de style». Tout le monde voulait un portrait de sa main. Des reproductions de ses motifs se retrouvaient sur les meubles, les porcelaines et les cheminées.
«Une stratégie très intelligente»
Elle a ainsi géré sa carrière et créé une image d’elle-même qui lui a permis de faire son chemin d’une manière extraordinairement indépendante. «À l’époque, on se demandait encore si l’éducation avait un sens pour les femmes», rappelle la conservatrice. Dans une société patriarcale, son mariage à près de 40 ans avec son collègue Antonio Zucchi répondait probablement aussi à des considérations pragmatiques. Elle tenait cependant à son indépendance et, contre les usages de son temps, elle a conclu un contrat de mariage sous le régime de la séparation des biens.
Simultanément, elle donne pourtant une image d’elle conforme à l’idéal vertueux en vigueur. Elle se montre modeste et réservée, afin de ne pas provoquer et probablement aussi pour éviter que ses collègues la voient comme une concurrente et adoptent à son égard une attitude défensive. «C’était une stratégie très intelligente», estime Bettina Baumgärtel.
Angelika Kauffmann vivra 15 ans à Londres, éprouvant souvent la nostalgie de l’Italie. À l’âge de 40 ans et peu après son mariage, elle retourne finalement à Rome avec son époux. Elle s’installe dans un palais surplombant les escaliers de la place d’Espagne où elle emploie une cuisinière, une femme de chambre et deux serviteurs. Elle a réussi, elle est connue dans l’Europe entière. Goethe et Herder fréquentent son salon, le second estimant qu’elle est «probablement la femme la plus cultivée d’Europe». À sa mort, elle est enterrée en grande pompe à Rome. «Depuis, sa renommée ne s’est jamais démentie», dit la conservatrice. Elle est toujours appréciée dans l’Europe entière: après Düsseldorf, l’exposition sera présentée à la Royal Academy of Arts de Londres.
Nota Bene
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La peintre Angelika Kauffmann, née à Coire, a conquis l’Europe entière au 18e siècle. Enfant prodige, elle s’imposa plus tard à Londres comme une superstar. Le Kunstpalast de Düsseldorf lui consacre une grande exposition qui met aussi en évidence ses talents de réseauteuse.
Fou d'Angelika Kauffman - le titre de l’exposition de Düsseldorf reflète l’engouement suscité en Europe au 18e siècle par la peintre suisse au sommet de son art. Folle d’elle, la curatrice Bettina Baumgärtel l’est aussi, concède-t-elle avec un sourire.
Cette experte renommée s’intéresse depuis une trentaine d’années à l’artiste dont la vie a débuté à Coire et s’est achevée à Rome. Au Panthéon de la ville sainte, son buste se trouve à côté de celui de Raphaël, un des maîtres de la Renaissance.
L’histoire de cette femme est celle d’un succès impressionnant basé sur le talent, l’ambition et une planification ciblée, raconte Bettina Baumgärtel: «Elle a construit sa carrière avec une forte conscience de soi et savait très exactement ce qu’elle voulait».
Née en 1741, Angelika Kauffmann est la fille d’une sage-femme suisse et d’un peintre autrichien. Son père Joseph Johann Kauffmann reconnaît très tôt son énorme talent. Il s’efface alors pour soutenir sa fille, l’emmenant en voyage en Suisse, en Autriche et en Italie du Nord où la fillette peut faire étalage de ses talents dans les cours d’Europe. «Elle avait déjà des commandes quand elle était enfant et adolescente, également de familles nobles», dit Bettina Baumgärtel. Ainsi, elle a 16 ans quand elle réalise à Coire le portrait du fils d’Anton von Salis Soglio, un membre de la noblesse.
Gloire précoce
C’est également à cet âge qu’Angelika Kauffmann perd sa mère, en 1757. Cleophea Lutz était une femme cultivée et lui avait enseigné le chant et les langues, ce dont elle a profité pendant toute sa vie. «L’influence de sa mère n’a pas encore été suffisamment étudiée», remarque la curatrice. Ce n’est d’ailleurs qu’après la mort de Cleophea Lutz qu’Angelika décide de faire carrière en peinture et non dans le chant. Elle fixera ce moment quelques décennies plus tard dans son autoportrait «Au carrefour de la musique et de la peinture», une toile réputée qui est également accrochée à Düsseldorf.
De 1760 à 1766, le père et sa fille voyagent en Italie où elle copie les grands maîtres dans les galeries et les palais, à une époque où les femmes ne peuvent pas étudier dans les académies de peinture. Elle n’a que 22 ans quand elle arrive à Rome, y posant les premiers jalons de sa carrière grâce à des portraits de voyageurs européens qui effectuent leur «Grand Tour» d’Europe. Ces clients ramènent ensuite les toiles dans leur patrie comme témoignage de leur éducation et de leur culture. C’est ainsi que l’Angleterre découvre la jeune femme.
Plusieurs nations revendiquent cette artiste. La Suisse, de par sa mère et parce qu’elle est née à Coire (bien qu’à l’époque, les Grisons ne faisaient pas partie de la Suisse); l’Autriche, parce que son père venait de Bregenz, qu’elle y passa beaucoup de temps et y a entretenu toute sa vie des liens avec sa famille; et l’Italie parce que c’est le pays où elle a travaillé le plus longtemps et où elle est enterrée. Mais Angelika Kauffmann résistait à ces tentatives d’assimilation. «Elle disait d’elle-même qu’elle était chez elle dans le monde entier», raconte Bettina Baumgärtel. «Elle se définissait comme une artiste internationale.»
Superstar à Londres
En 1766, la peintre quitte Rome pour Londres, en pleine effervescence culturelle où se trouve par exemple aussi Georg Friedrich Händel. Elle ouvre un atelier où présenter son travail alors qu’une noble Anglaise l’introduit dans la société où elle connaît rapidement un grand succès comme portraitiste. «Ses portraits avaient un style particulier qu’elle entretenait et qui est devenu une véritable mode: une expression du visage très franche légèrement teintée d’idéalisme», explique Bettina Baumgärtel.
En 1768, Angelika Kauffmann est la seule femme aux côtés de sa contemporaine Mary Moser à figurer parmi les membres fondateurs de la Royal Academy of Arts. Plus tard, elle aura l’honneur de réaliser quatre grandes peintures pour les plafonds du nouveau bâtiment de l’Académie, une véritable marque de reconnaissance. Ces peintures sur toile sont présentées à Düsseldorf pour la première fois hors d’Angleterre.
L’exposition présente également Angelika Kauffmann sous un autre angle, celui de l’«influenceuse» et de la «réseauteuse». Ce vocabulaire est certainement destiné à un jeune public familier des médias sociaux, mais il se justifie. Parce que la peintre a utilisé des stratégies que la génération Instragram d’aujourd’hui connaît bien. «Elle s’est entourée de personnalités connues qui revalorisaient considérablement son statut social», raconte la curatrice. On pouvait aussi assister à des séances de peinture dans son atelier puis s’en glorifier. Ces performances ont contribué à sa notoriété. Angelika Kauffmann était «une superstar et une icône de style». Tout le monde voulait un portrait de sa main. Des reproductions de ses motifs se retrouvaient sur les meubles, les porcelaines et les cheminées.
«Une stratégie très intelligente»
Elle a ainsi géré sa carrière et créé une image d’elle-même qui lui a permis de faire son chemin d’une manière extraordinairement indépendante. «À l’époque, on se demandait encore si l’éducation avait un sens pour les femmes», rappelle la conservatrice. Dans une société patriarcale, son mariage à près de 40 ans avec son collègue Antonio Zucchi répondait probablement aussi à des considérations pragmatiques. Elle tenait cependant à son indépendance et, contre les usages de son temps, elle a conclu un contrat de mariage sous le régime de la séparation des biens.
Simultanément, elle donne pourtant une image d’elle conforme à l’idéal vertueux en vigueur. Elle se montre modeste et réservée, afin de ne pas provoquer et probablement aussi pour éviter que ses collègues la voient comme une concurrente et adoptent à son égard une attitude défensive. «C’était une stratégie très intelligente», estime Bettina Baumgärtel.
Angelika Kauffmann vivra 15 ans à Londres, éprouvant souvent la nostalgie de l’Italie. À l’âge de 40 ans et peu après son mariage, elle retourne finalement à Rome avec son époux. Elle s’installe dans un palais surplombant les escaliers de la place d’Espagne où elle emploie une cuisinière, une femme de chambre et deux serviteurs. Elle a réussi, elle est connue dans l’Europe entière. Goethe et Herder fréquentent son salon, le second estimant qu’elle est «probablement la femme la plus cultivée d’Europe». À sa mort, elle est enterrée en grande pompe à Rome. «Depuis, sa renommée ne s’est jamais démentie», dit la conservatrice. Elle est toujours appréciée dans l’Europe entière: après Düsseldorf, l’exposition sera présentée à la Royal Academy of Arts de Londres.
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