Christophe Keckeis, militaire et photographe amateur
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Christophe Keckeis, militaire et photographe amateur
Ancien chef de l’armée suisse, décédé au printemps dernier à l’âge de 75 ans, Christophe Keckeis était un excellent photographe amateur. Son appareil, un Asahi Pentax SV, trône désormais au Musée suisse de l’appareil photo, à Vevey, comme une précieuse relique. Son histoire est en effet étonnante.
Il est arrivé au musée encore cabossé de ce qui lui est arrivé, il y a quarante-trois ans dans la Broye. Le Pentax a une estafilade sur le système de visée, des cicatrices et des rayures ici et là. Dans le genre, comme son ancien propriétaire, c’est un miraculé. Il est en état de marche, prêt à reprendre des photos. Mais peut-être pas, si on lui demandait son avis, dans la région de l’aérodrome de Payerne. Ce qu’il a vécu là le 24 mars 1977 à 15h05, il ne le souhaiterait à aucun autre appareil photo. Même d’une marque concurrente.
Son propriétaire était un excellent photographe amateur, ce que personne ou presque ne savait. Décédé le 1er mai dernier à l’âge de 75 ans, Christophe Keckeis était un militaire de carrière qui avait gravi tous les échelons, multiplié tous les grades. Jusqu’au plus haut dans l’armée suisse en temps de paix: commandant de corps. Le Neuchâtelois a été le chef de l’armée de 2004 à 2007. Il a porté le projet Armée XXI avant de présider le Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées. Il a aussi dirigé les forces aériennes suisses. Sa passion première était le pilotage d’avions de chasse, en particulier le Mirage III. Christophe Keckeis excellait dans cet exercice de haut vol.
Un exercice qui requiert un œil aiguisé, idéal aussi pour la photographie. Telle était la personnalité aux facettes multiples du Romand. Au premier abord, il cochait toutes les cases du militaire de carrière: mâchoire carrée, épaules larges, cheveux en brosse, parler autoritaire. Mais le trait de cette caricature méritait d’être affiné. Diplômé de l’Université de Lausanne en sciences politiques, engagé dans diverses causes humanitaires et de protection de la nature, Christophe Keckeis était un homme attentif aux autres, curieux de tout.
Il avait ainsi ce goût prononcé pour la photographie, qu’elle soit aérienne, sur le plancher des vaches, en vacances en France ou en mission ornithologique. Son fils, Bastian Keckeis, peut en témoigner: il conserve dans la Broye fribourgeoise les multiples caisses de négatifs et de diapositives de son père. Ainsi que des éditions de cartes postales qui réunissent les plus belles photos aériennes de son père. C’est Bastian Keckeis qui a confié au Musée suisse de l’appareil photographique le Pentax contusionné. En précisant: «Cet appareil a une histoire étonnante.»
En effet. Le jeudi 24 mars 1977, Christophe Keckeis avait pris place sur le siège arrière d’un Mirage III biplace. Il photographiait les chorégraphies supersoniques de huit autres Mirage. Son ami proche Georges Fleury, qui pilotait l’un des jets de la formation, raconte: «C’était le dernier vol d’un cours de répétition. Nous avions effectué tout un trajet en Suisse avant de défiler en formation serrée au-dessus de l’aérodrome de Payerne. Nous devions nous séparer en deux groupes de quatre appareils. Une troupe de soldats nous regardait au sol, près de l’un des abris voûtés de l’aérodrome. Le dernier Mirage de la formation volait près de l’avion biplace. Il a soudain effectué un tonneau et heurté le Mirage dans lequel se trouvait Christophe Keckeis. Les trois pilotes ont juste eu le temps de s’éjecter avant que les appareils n’explosent et ne s’écrasent dans le secteur de l’aérodrome. L’un s’est crashé à moins de 50 mètres des soldats. Les pilotes et eux ont eu une chance incroyable.»
Les Mirage volaient alors à 800 km/h, à environ 500 mètres d’altitude. L’un des trois pilotes n’a pu se séparer de son siège éjectable qu’à proximité du sol, actionnant trop tard son parachute. Il se précipitait vers une mort certaine. Un arbre providentiel a heureusement amorti sa chute. Le pilote s’en est tiré avec quelques blessures, comme ses deux camarades d’escadrille. Christophe Keckeis avait une côte cassée. Ainsi qu’une blessure à un doigt – due à l’explosion de l’avion – qui s’est plus tard infectée.
Georges Fleury, qui a lui aussi été pilote militaire pendant sa vie active, poursuit son récit: «Un mécanicien s’est précipité vers Christophe, qui venait d’atterrir. Il l’a vu décrocher son parachute, et tout de suite prendre des photos! Il est vraiment étonnant que cet appareil photo ait tenu le coup.» Surtout qu’un siège éjectable est comme un canon. Il explose sous les fesses du pilote, propulsant celui-ci dans les airs avec une accélération de 20 à 23 G, à la limite de ce que peut encaisser un organisme humain.
Certes, le Pentax était lui aussi esquinté. Son posemètre, clipsé sur le système de visée, n’a pas résisté au choc. Il a dû être remplacé. Christophe Keckeis a envoyé son appareil en révision après le crash, puis il a continué à l’utiliser. Fabriqué dans les années 60, l’Asahi Pentax SV était un reflex 35 mm populaire à l’époque. Il était réputé pour sa compacité, son ergonomie et, précisément, sa robustesse. Christophe Keckeis a ensuite confié l’appareil à son fils Bastian pour qu’il se mette à la photographie. Mission réussie: Bastian Keckeis est aujourd’hui un guide naturaliste qui tire profit de sa maîtrise de la photo et de la peinture.
Le Pentax rejoint la petite cohorte des appareils photos porteurs d’histoires extraordinaires. A l’instar du Nikon F de Don McCullin. En 1968, au Cambodge, l’appareil a sauvé la vie du célèbre reporter de guerre. C’est lui qui a reçu la balle d’AK-47 tirée par un soldat Khmer rouge, au lieu de la tête de Don McCullin. Le Nikon F est régulièrement exposé en Grande-Bretagne, comme une relique. Pour sa part, le Pentax de Christophe Keickeis trône cet été dans l’entrée du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey. Il nous regarde avec son gros œil rond, avec l’air de dire: «J’aurai vraiment tout vu.»
► SOURCE : L'Illustré (voir article original et complet)
Il est arrivé au musée encore cabossé de ce qui lui est arrivé, il y a quarante-trois ans dans la Broye. Le Pentax a une estafilade sur le système de visée, des cicatrices et des rayures ici et là. Dans le genre, comme son ancien propriétaire, c’est un miraculé. Il est en état de marche, prêt à reprendre des photos. Mais peut-être pas, si on lui demandait son avis, dans la région de l’aérodrome de Payerne. Ce qu’il a vécu là le 24 mars 1977 à 15h05, il ne le souhaiterait à aucun autre appareil photo. Même d’une marque concurrente.
Son propriétaire était un excellent photographe amateur, ce que personne ou presque ne savait. Décédé le 1er mai dernier à l’âge de 75 ans, Christophe Keckeis était un militaire de carrière qui avait gravi tous les échelons, multiplié tous les grades. Jusqu’au plus haut dans l’armée suisse en temps de paix: commandant de corps. Le Neuchâtelois a été le chef de l’armée de 2004 à 2007. Il a porté le projet Armée XXI avant de présider le Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées. Il a aussi dirigé les forces aériennes suisses. Sa passion première était le pilotage d’avions de chasse, en particulier le Mirage III. Christophe Keckeis excellait dans cet exercice de haut vol.
Un exercice qui requiert un œil aiguisé, idéal aussi pour la photographie. Telle était la personnalité aux facettes multiples du Romand. Au premier abord, il cochait toutes les cases du militaire de carrière: mâchoire carrée, épaules larges, cheveux en brosse, parler autoritaire. Mais le trait de cette caricature méritait d’être affiné. Diplômé de l’Université de Lausanne en sciences politiques, engagé dans diverses causes humanitaires et de protection de la nature, Christophe Keckeis était un homme attentif aux autres, curieux de tout.
Il avait ainsi ce goût prononcé pour la photographie, qu’elle soit aérienne, sur le plancher des vaches, en vacances en France ou en mission ornithologique. Son fils, Bastian Keckeis, peut en témoigner: il conserve dans la Broye fribourgeoise les multiples caisses de négatifs et de diapositives de son père. Ainsi que des éditions de cartes postales qui réunissent les plus belles photos aériennes de son père. C’est Bastian Keckeis qui a confié au Musée suisse de l’appareil photographique le Pentax contusionné. En précisant: «Cet appareil a une histoire étonnante.»
En effet. Le jeudi 24 mars 1977, Christophe Keckeis avait pris place sur le siège arrière d’un Mirage III biplace. Il photographiait les chorégraphies supersoniques de huit autres Mirage. Son ami proche Georges Fleury, qui pilotait l’un des jets de la formation, raconte: «C’était le dernier vol d’un cours de répétition. Nous avions effectué tout un trajet en Suisse avant de défiler en formation serrée au-dessus de l’aérodrome de Payerne. Nous devions nous séparer en deux groupes de quatre appareils. Une troupe de soldats nous regardait au sol, près de l’un des abris voûtés de l’aérodrome. Le dernier Mirage de la formation volait près de l’avion biplace. Il a soudain effectué un tonneau et heurté le Mirage dans lequel se trouvait Christophe Keckeis. Les trois pilotes ont juste eu le temps de s’éjecter avant que les appareils n’explosent et ne s’écrasent dans le secteur de l’aérodrome. L’un s’est crashé à moins de 50 mètres des soldats. Les pilotes et eux ont eu une chance incroyable.»
Les Mirage volaient alors à 800 km/h, à environ 500 mètres d’altitude. L’un des trois pilotes n’a pu se séparer de son siège éjectable qu’à proximité du sol, actionnant trop tard son parachute. Il se précipitait vers une mort certaine. Un arbre providentiel a heureusement amorti sa chute. Le pilote s’en est tiré avec quelques blessures, comme ses deux camarades d’escadrille. Christophe Keckeis avait une côte cassée. Ainsi qu’une blessure à un doigt – due à l’explosion de l’avion – qui s’est plus tard infectée.
Georges Fleury, qui a lui aussi été pilote militaire pendant sa vie active, poursuit son récit: «Un mécanicien s’est précipité vers Christophe, qui venait d’atterrir. Il l’a vu décrocher son parachute, et tout de suite prendre des photos! Il est vraiment étonnant que cet appareil photo ait tenu le coup.» Surtout qu’un siège éjectable est comme un canon. Il explose sous les fesses du pilote, propulsant celui-ci dans les airs avec une accélération de 20 à 23 G, à la limite de ce que peut encaisser un organisme humain.
Certes, le Pentax était lui aussi esquinté. Son posemètre, clipsé sur le système de visée, n’a pas résisté au choc. Il a dû être remplacé. Christophe Keckeis a envoyé son appareil en révision après le crash, puis il a continué à l’utiliser. Fabriqué dans les années 60, l’Asahi Pentax SV était un reflex 35 mm populaire à l’époque. Il était réputé pour sa compacité, son ergonomie et, précisément, sa robustesse. Christophe Keckeis a ensuite confié l’appareil à son fils Bastian pour qu’il se mette à la photographie. Mission réussie: Bastian Keckeis est aujourd’hui un guide naturaliste qui tire profit de sa maîtrise de la photo et de la peinture.
Le Pentax rejoint la petite cohorte des appareils photos porteurs d’histoires extraordinaires. A l’instar du Nikon F de Don McCullin. En 1968, au Cambodge, l’appareil a sauvé la vie du célèbre reporter de guerre. C’est lui qui a reçu la balle d’AK-47 tirée par un soldat Khmer rouge, au lieu de la tête de Don McCullin. Le Nikon F est régulièrement exposé en Grande-Bretagne, comme une relique. Pour sa part, le Pentax de Christophe Keickeis trône cet été dans l’entrée du Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey. Il nous regarde avec son gros œil rond, avec l’air de dire: «J’aurai vraiment tout vu.»
► SOURCE : L'Illustré (voir article original et complet)
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