Viande séchée du Valais
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Viande séchée du Valais
Dans le cadre domestique et artisanal, fabrication à partir de nombreuses pièces de viande bovine, voire d’autres espèces. La viande séchée de mouton ou d’agneau (Lammlidji, Geisslidji) est encore vivace dans le Haut-Valais.
La ressemblance remarquable entre la viande séchée du Valais, la viande des Grisons, „Dirrs“ (Gedörrtes, viande séchée) d’Uri ou carne secca du Tessin voire la Bresaola de la Valteline italienne est une énigme historique qui n’a pas encore été résolue. Le climat particulièrement favorable de certaines vallées alpines, qui permet le séchage de la viande, ne suffit pas à l’expliquer: il faut aussi un savoir-faire précis. On attribue parfois la paternité de ce savoir-faire aux Walser, qui l’auraient diffusé dans les hautes vallées alpines qu’ils occupaient alors; mais rien ne permet d’étayer sérieusement cette hypothèse. En Valais, la première attestation détaillée concernant le séchage de la viande remonte à la Cosmographie de Sebastian Münster, dont la première édition est publiée en 1544 à Bâle: "Sie machen vil dörr fleisch/das sie gedigen fleisch nennen/und besunder von den feissten schaffen oder hämlen/reüchen es nit/sunder nach dem saltz dörren si es im lufft/und legen es darnach in stro".
A voir son importance telle qu’elle ressort des premières sources détaillées, on devine une tradition ancienne, continue et vigoureuse, dans le Haut-Valais et le Valais central tout au moins. Le journal Le villageois, dans ses livraisons du printemps 1881, présente le séchage de la viande comme une tradition domestique, pratiquée par de très nombreuses familles, à une époque où il y a peu de boucheries professionnelles dans le Valais rural. La viande séchée n’est pas une denrée abondante à cette époque: la plupart des familles n’ont que quelques vaches, et il faut s’y mettre à plusieurs familles pour tuer une bête; la viande séchée est alors consommée de préférence le dimanche.
Il est difficile de connaître précisément les pratiques et savoir-faire liés au séchage de la viande en Valais à cette époque. On dispose toutefois d’une description très détaillée des techniques de salage de la viande à Neuchâtel en 1875, qui ressemble en tous points aux pratiques actuelles de certains artisans valaisans (voir le texte de Louis Favre dans la fiche consacrée au Braisi). En Valais, dès cette époque, on insiste sur le choix des épices et des herbes; selon Le Villageois, chaque "vaillante ménagère" (sic) a ses secrets. Ce mélange, jugé essentiel pour le goût du produit fini, constitue une recette précieusement transmise d’une génération à la suivante. L’importance du secret, soulignée de manière continue par de nombreux commentateurs au cours du 20ème siècle, reste d’ailleurs vivace, même dans le contexte des boucheries professionnelles qui ont pris le relais de la fabrication domestique. Pour preuve, le cahier des charges de l’IGP reste muet sur ce point et se retranche derrière "la recette traditionnelle propre à chaque fabricant".
Jusque dans les années 1960, on sèche des viandes bovine, porcine, ovine, caprine, gibier (surtout chamois) voire de mulet; et tous les morceaux qui se prêtent au séchage sont utilisés. Au fur et à mesure que le séchage perd son statut de mode de conservation privilégié, on se met à sélectionner les morceaux. En effet, avec la maîtrise du froid, la consommation de viande fraîche augmente et la viande séchée devient progressivement un produit d’agrément plus que de nécessité quotidienne. Cette tendance, déjà dénoncée par Le villageois en 1881 mais encore très marginale, s’amplifie brusquement au cours des années 1950-60, avec le développement des congélateurs communaux puis des réfrigérateurs dans chaque foyer. Elle est encore renforcée par la spécialisation professionnelle des 40 dernières années: les boucheries villageoises puis industrielles se développent, alors que la "boucherie de campagne" domestique décline graduellement. Au début des années 2000, il y a encore des particuliers qui font de la viande séchée à la maison, utilisant les services d’un boucher pour l’abattage et la découpe de leurs propres bêtes, ou qui lui achètent des quartiers ad hoc. Il s’agit le plus souvent de personnes âgées de plus de cinquante ans qui ont encore connu l’époque où la boucherie de campagne était vivace; cette pratique pourrait donc s’éteindre à moyen terme.
Le résultat de ces évolutions, c’est qu’au début du 21ème siècle les nombreuses variantes de viandes séchées sont devenues très minoritaires face à la viande séchée IGP de haute qualité et de prix élevé, dont la fabrication est restreinte aux bons morceaux des quartiers arrière du bœuf. On trouve encore, chez certains bouchers, des viandes séchées produites hors de la démarche IGP pour des raisons présentation plus que de goût, ou parce que la viande utilisée ne provient pas de Suisse. En fabrication domestique on sèche encore toutes sortes de pièces, mais cette activité est quantitativement marginale.
La première étape de la fabrication est le salage et l’aromatisation de la viande: les quartiers sélectionnés sont frottés avec le sel et les épices puis placés au frais (moins de 10°C, en général 7-8°C) dans des cuves ou tonneaux de plastique, parfois en inox; celles-ci ont remplacé les cuves de bois utilisées jusqu’aux années 1960-70. La viande suinte au contact du sel: celui-ci se dissout dans le jus qui forme ainsi une saumure. On place les plus grosses pièces en bas, afin qu’elles s’imprègnent au mieux du sel; on peut aussi retourner une fois les morceaux au cours du saumurage, ou placer un poids pour obliger la saumure à remonter, ou encore arroser la viande à l’aide de la saumure prélevée, éventuellement additionnée de vin rouge.
Aujourd’hui, en fabrication professionnelle, les quartiers sont en général embossés dans un bas et/ou un filet au sortir du saumurage puis étuvés quelques jours (jusqu’à une semaine) à des températures et hygrométries décroissantes, d’abord à plus de 20°C et 95% d’humidité pour terminer à moins de 15°C avec 80% d’humidité. Cette phase permet d’accélérer le séchage tout en évitant le "croûtage" en surface qui empêcherait ensuite le séchage du cœur de la pièce. Cette phase permet aussi d’assurer le développement d’une moisissure noble qui se répand sur la surface extérieure de la pièce. Sa présence permet en particulier de maintenir une certaine humidité en surface au début du processus de séchage. Il n’est pas nécessaire d’ensemencer: une fois la moisissure présente dans les locaux d’étuvage et de séchage, elle colonise spontanément les pièces de viande. Notons qu’il n’y a pas d’étuvage en fabrication domestique, et que tous les bouchers ne le pratiquent pas.
Le séchage proprement dit et le pressage interviennent ensuite. Le pressage, technique qui s’est généralisée avec l’industrialisation de la production, est destiné à ouvrir les pores de la viande et homogénéiser la forme de la pièce. Le fait d’embosser les pièces en est un corollaire: il évite de devoir percer la pièce pour introduire une ficelle, ce qui étirerait la pièce et formerait une pointe économiquement peu rentable. Les pressages ont lieu à intervalles régulier, au cours des 5 à 16 semaines que dure le séchage en fabrication artisanale et industrielle. En fabrication domestique, celui-ci se déroule à l’air libre; ceux qui possèdent encore un "raccard", chalet servant de garde-manger dans les alpages valaisans, soumettent la viande à l’air frais et sec des sommets. En fabrication professionnelle, le séchage s’effectue la plupart du temps dans des locaux à température et hygrométrie contrôlées (moins de 15°C, souvent même moins de 10°C, autour de 80% d’humidité relative). La perte de poids lors de ce processus atteint 40 à 50% par rapport au poids initial de la pièce, compris entre 2 et 4 kg. La perte dépassait les 50% lorsque la viande de production domestique était séchée en raccard, mais on préfère aujourd’hui une viande plus tendre.
A l’époque où la viande séchée était un produit domestique d’autoconsommation, les meilleures pièces de viande bovine séchée pouvaient être mangées crues en petits morceaux, après le Carême. Les autres pièces étaient cuites en pot-au-feu, ce qui était le meilleur moyen d’attendrir une viande devenue particulièrement sèche et dure.
En 1960, le Docteur Henry Wuilloud, membre de l’Ordre de la Channe déplore une coutume "de plus en plus répandue" qui consiste à faire précéder la raclette de viande séchée et de jambon sec. Cette habitude est typique du mode de consommation contemporaine de la viande séchée: coupée en tranches très fines, dégustée dans des moments festifs, revêtant une certaine solennité, ou simplement qui sortent de l’ordinaire. La viande séchée trouve ainsi sa place dans l’assiette valaisanne qui est à la carte de la plupart des cafetiers-restaurateurs du canton; elle est aussi servie dans les caveaux des vignerons, par les autorités locales lors d’événements officiels, etc. La composition de l’assiette valaisanne a été soigneusement codifiée par les cafetiers-restaurateurs valaisans: viande séchée (40 g), jambon cru (40 g), lard séché (40 g), Raclette (20 g), et éventuellement saucisses sèches, cornichons et oignons, beurre.
Le goût des consommateurs semble être de plus en plus orienté vers une viande plus tendre, moins sèche, tant en Valais qu’à l’extérieur du canton. Cette tendance est suivie sinon accentuée par les plus grosses entreprises de fabrication, pour lesquelles un séchage excessif constitue une perte économique substantielle.
► Source : Patrimoine culinaire suisse
La ressemblance remarquable entre la viande séchée du Valais, la viande des Grisons, „Dirrs“ (Gedörrtes, viande séchée) d’Uri ou carne secca du Tessin voire la Bresaola de la Valteline italienne est une énigme historique qui n’a pas encore été résolue. Le climat particulièrement favorable de certaines vallées alpines, qui permet le séchage de la viande, ne suffit pas à l’expliquer: il faut aussi un savoir-faire précis. On attribue parfois la paternité de ce savoir-faire aux Walser, qui l’auraient diffusé dans les hautes vallées alpines qu’ils occupaient alors; mais rien ne permet d’étayer sérieusement cette hypothèse. En Valais, la première attestation détaillée concernant le séchage de la viande remonte à la Cosmographie de Sebastian Münster, dont la première édition est publiée en 1544 à Bâle: "Sie machen vil dörr fleisch/das sie gedigen fleisch nennen/und besunder von den feissten schaffen oder hämlen/reüchen es nit/sunder nach dem saltz dörren si es im lufft/und legen es darnach in stro".
A voir son importance telle qu’elle ressort des premières sources détaillées, on devine une tradition ancienne, continue et vigoureuse, dans le Haut-Valais et le Valais central tout au moins. Le journal Le villageois, dans ses livraisons du printemps 1881, présente le séchage de la viande comme une tradition domestique, pratiquée par de très nombreuses familles, à une époque où il y a peu de boucheries professionnelles dans le Valais rural. La viande séchée n’est pas une denrée abondante à cette époque: la plupart des familles n’ont que quelques vaches, et il faut s’y mettre à plusieurs familles pour tuer une bête; la viande séchée est alors consommée de préférence le dimanche.
Il est difficile de connaître précisément les pratiques et savoir-faire liés au séchage de la viande en Valais à cette époque. On dispose toutefois d’une description très détaillée des techniques de salage de la viande à Neuchâtel en 1875, qui ressemble en tous points aux pratiques actuelles de certains artisans valaisans (voir le texte de Louis Favre dans la fiche consacrée au Braisi). En Valais, dès cette époque, on insiste sur le choix des épices et des herbes; selon Le Villageois, chaque "vaillante ménagère" (sic) a ses secrets. Ce mélange, jugé essentiel pour le goût du produit fini, constitue une recette précieusement transmise d’une génération à la suivante. L’importance du secret, soulignée de manière continue par de nombreux commentateurs au cours du 20ème siècle, reste d’ailleurs vivace, même dans le contexte des boucheries professionnelles qui ont pris le relais de la fabrication domestique. Pour preuve, le cahier des charges de l’IGP reste muet sur ce point et se retranche derrière "la recette traditionnelle propre à chaque fabricant".
Jusque dans les années 1960, on sèche des viandes bovine, porcine, ovine, caprine, gibier (surtout chamois) voire de mulet; et tous les morceaux qui se prêtent au séchage sont utilisés. Au fur et à mesure que le séchage perd son statut de mode de conservation privilégié, on se met à sélectionner les morceaux. En effet, avec la maîtrise du froid, la consommation de viande fraîche augmente et la viande séchée devient progressivement un produit d’agrément plus que de nécessité quotidienne. Cette tendance, déjà dénoncée par Le villageois en 1881 mais encore très marginale, s’amplifie brusquement au cours des années 1950-60, avec le développement des congélateurs communaux puis des réfrigérateurs dans chaque foyer. Elle est encore renforcée par la spécialisation professionnelle des 40 dernières années: les boucheries villageoises puis industrielles se développent, alors que la "boucherie de campagne" domestique décline graduellement. Au début des années 2000, il y a encore des particuliers qui font de la viande séchée à la maison, utilisant les services d’un boucher pour l’abattage et la découpe de leurs propres bêtes, ou qui lui achètent des quartiers ad hoc. Il s’agit le plus souvent de personnes âgées de plus de cinquante ans qui ont encore connu l’époque où la boucherie de campagne était vivace; cette pratique pourrait donc s’éteindre à moyen terme.
Le résultat de ces évolutions, c’est qu’au début du 21ème siècle les nombreuses variantes de viandes séchées sont devenues très minoritaires face à la viande séchée IGP de haute qualité et de prix élevé, dont la fabrication est restreinte aux bons morceaux des quartiers arrière du bœuf. On trouve encore, chez certains bouchers, des viandes séchées produites hors de la démarche IGP pour des raisons présentation plus que de goût, ou parce que la viande utilisée ne provient pas de Suisse. En fabrication domestique on sèche encore toutes sortes de pièces, mais cette activité est quantitativement marginale.
La première étape de la fabrication est le salage et l’aromatisation de la viande: les quartiers sélectionnés sont frottés avec le sel et les épices puis placés au frais (moins de 10°C, en général 7-8°C) dans des cuves ou tonneaux de plastique, parfois en inox; celles-ci ont remplacé les cuves de bois utilisées jusqu’aux années 1960-70. La viande suinte au contact du sel: celui-ci se dissout dans le jus qui forme ainsi une saumure. On place les plus grosses pièces en bas, afin qu’elles s’imprègnent au mieux du sel; on peut aussi retourner une fois les morceaux au cours du saumurage, ou placer un poids pour obliger la saumure à remonter, ou encore arroser la viande à l’aide de la saumure prélevée, éventuellement additionnée de vin rouge.
Aujourd’hui, en fabrication professionnelle, les quartiers sont en général embossés dans un bas et/ou un filet au sortir du saumurage puis étuvés quelques jours (jusqu’à une semaine) à des températures et hygrométries décroissantes, d’abord à plus de 20°C et 95% d’humidité pour terminer à moins de 15°C avec 80% d’humidité. Cette phase permet d’accélérer le séchage tout en évitant le "croûtage" en surface qui empêcherait ensuite le séchage du cœur de la pièce. Cette phase permet aussi d’assurer le développement d’une moisissure noble qui se répand sur la surface extérieure de la pièce. Sa présence permet en particulier de maintenir une certaine humidité en surface au début du processus de séchage. Il n’est pas nécessaire d’ensemencer: une fois la moisissure présente dans les locaux d’étuvage et de séchage, elle colonise spontanément les pièces de viande. Notons qu’il n’y a pas d’étuvage en fabrication domestique, et que tous les bouchers ne le pratiquent pas.
Le séchage proprement dit et le pressage interviennent ensuite. Le pressage, technique qui s’est généralisée avec l’industrialisation de la production, est destiné à ouvrir les pores de la viande et homogénéiser la forme de la pièce. Le fait d’embosser les pièces en est un corollaire: il évite de devoir percer la pièce pour introduire une ficelle, ce qui étirerait la pièce et formerait une pointe économiquement peu rentable. Les pressages ont lieu à intervalles régulier, au cours des 5 à 16 semaines que dure le séchage en fabrication artisanale et industrielle. En fabrication domestique, celui-ci se déroule à l’air libre; ceux qui possèdent encore un "raccard", chalet servant de garde-manger dans les alpages valaisans, soumettent la viande à l’air frais et sec des sommets. En fabrication professionnelle, le séchage s’effectue la plupart du temps dans des locaux à température et hygrométrie contrôlées (moins de 15°C, souvent même moins de 10°C, autour de 80% d’humidité relative). La perte de poids lors de ce processus atteint 40 à 50% par rapport au poids initial de la pièce, compris entre 2 et 4 kg. La perte dépassait les 50% lorsque la viande de production domestique était séchée en raccard, mais on préfère aujourd’hui une viande plus tendre.
A l’époque où la viande séchée était un produit domestique d’autoconsommation, les meilleures pièces de viande bovine séchée pouvaient être mangées crues en petits morceaux, après le Carême. Les autres pièces étaient cuites en pot-au-feu, ce qui était le meilleur moyen d’attendrir une viande devenue particulièrement sèche et dure.
En 1960, le Docteur Henry Wuilloud, membre de l’Ordre de la Channe déplore une coutume "de plus en plus répandue" qui consiste à faire précéder la raclette de viande séchée et de jambon sec. Cette habitude est typique du mode de consommation contemporaine de la viande séchée: coupée en tranches très fines, dégustée dans des moments festifs, revêtant une certaine solennité, ou simplement qui sortent de l’ordinaire. La viande séchée trouve ainsi sa place dans l’assiette valaisanne qui est à la carte de la plupart des cafetiers-restaurateurs du canton; elle est aussi servie dans les caveaux des vignerons, par les autorités locales lors d’événements officiels, etc. La composition de l’assiette valaisanne a été soigneusement codifiée par les cafetiers-restaurateurs valaisans: viande séchée (40 g), jambon cru (40 g), lard séché (40 g), Raclette (20 g), et éventuellement saucisses sèches, cornichons et oignons, beurre.
Le goût des consommateurs semble être de plus en plus orienté vers une viande plus tendre, moins sèche, tant en Valais qu’à l’extérieur du canton. Cette tendance est suivie sinon accentuée par les plus grosses entreprises de fabrication, pour lesquelles un séchage excessif constitue une perte économique substantielle.
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