L'introduction du lynx en Suisse
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L'introduction du lynx en Suisse
Source : Magazine Migros (10.04.2018)
Le lynx: sa fragile conquête de la Suisse
Cinquante ans après la réintroduction du lynx en Suisse, le bilan est mitigé. D'un côté, on peut parler d'un succès, mais de l'autre, les menaces qui planent sur le félidé sont bien réelles.
Réintroduire un animal, ça n’est jamais gagné d’avance.» S’agissant du lynx, Antoine Burri, gérant de réserve naturelle chez Pro Natura et biologiste, dresse un constat en demi-teinte: «D’un côté, on peut se dire que ça se passe assez bien, avec une population d’environ 200 individus, mais de l’autre, on remarque quand même un appauvrissement génétique dû à la consanguinité.» Les lynx suisses, présents dans le Jura, les Préalpes et les Alpes, sont en effet issus d’une seule et même souche. «À long terme, la survie de cette population n’est pas vraiment assurée, elle risque de s’affaiblir, ou une maladie pourrait la décimer.»
Chef de la section Chasse, pêche et surveillance à l’État de Vaud, Frédéric Hofmann se montre plus enthousiaste: «Pour moi le lynx symbolise un exemple de réintroduction réussie, au même titre que celle du castor.» Un lynx qui bénéfice d’ailleurs auprès du public d’une image meilleure que celle du loup. «Il n’y a qu’à voir les peluches de plus en plus nombreuses dans les magasins.»
Amener du sang neuf
Fridolin Zimmermann, responsable du monitoring du lynx au Kora (organisme chargé du suivi des grands carnivores), propose une analyse plus nuancée: «Bien que le nombre d’individus augmente, l’aire de répartition ne s’étend que très lentement. Si on compare avec le loup et l’ours, le lynx est l’espèce qui a le potentiel de colonisation le plus réduit des trois.»
Certes, reconnaît-il, c’est en Suisse que se trouve «la seule population vitale de lynx de l’arc alpin, mais elle est encore assez petite et vulnérable et peut rapidement basculer sous le seuil de la viabilité démographique. Et elle a quand même une variabilité génétique assez faible si vous la comparez avec la population souche des Carpates.»
La solution existe, assez évidente, mais pas facile à mettre en place: «amener du sang neuf». Autrement dit, importer des lynx. «Mais ce genre de projet ne peut se faire que si une volonté politique existe, avec le soutien des différents groupes d’intérêts, gestionnaires de la faune, chasseurs, associations de protection de la nature.»
Pour l’instant, ce sont surtout les pays voisins qui sont demandeurs de lynx. Une demande à laquelle la Suisse répond parfois. «Mais chaque fois qu’on prélève un lynx, ça serait bien d’en réintroduire un qui vienne d’ailleurs», juge Antoine Burri. Compte tenu de la densité élevée de lynx dénombrés dans le Jura vaudois, Frédéric Hofmann explique que le canton participe à des captures de lynx dans le cadre d’un projet transfrontalier, pour livrer quelques animaux à la région allemande du Palatinat.
La colonisation du Plateau
«Reste qu’il existe des régions de Suisse qui seraient favorables au lynx, note Antoine Burri, mais où il y en a très peu, comme les Grisons ou le Tessin. On ne sait pas trop pourquoi.» Ce qui est sûr, c’est que le lynx colonise très lentement de nouveaux territoires, à l’inverse du loup, capable d’immenses déplacements pour s’installer dans d’autres régions. L’expansion du lynx en plus est freinée par de nombreux accidents de la route et le braconnage. La Suisse ne serait-elle pas trop urbanisée pour le lynx? Fridolin Zimmermann ne le pense pas: «Cela fait maintenant près de cinquante ans que le lynx a été réintroduit en Suisse. Il a pu montrer qu’il a su s’adapter à ce milieu dominé par l’homme, s’y reproduire et a atteint de bonnes densités dans certaines régions de Suisse. L’urbanisation n’est pas un problème aussi important que le fait qu’il a de la peine à coloniser de nouvelles régions.» Et d’évoquer quelques cas de reproduction confirmés, depuis 2012, sur le Plateau: «L’avenir nous dira si une population de lynx va s’installer sur le Plateau, mais cette région est à la fois très attractive au niveau de la nourriture, avec notamment beaucoup de chevreuils, mais aussi très risquée à cause des nombreuses routes.» Le lynx bientôt sur le Plateau? Frédéric Hofmann en doute: «Des individus sont observés sporadiquement, mais les conditions du milieu (réseau routier, chiens, dérangements) demeurent assez hostiles pour permettre son expansion.»
"Il a pu montrer qu’il a su s’adapter à ce milieu dominé par l’homme" (Fridolin Zimmermann)
Qui dit prédateur, dit conflit avec les éleveurs. Un conflit beaucoup plus faible qu’avec le loup. «Les dégâts occasionnés par le lynx aux animaux de rente sont assez faibles depuis 2004 et varient entre 22 et 75 cas suivant l’année», explique Fridolin Zimmermann. Le lynx en effet préfère nettement le gibier aux moutons. Il semble aussi, selon Antoine Burri, que les mesures de protection fonctionnement bien. «Les lynx ont l’air d’être assez peureux par rapport aux chiens, ils ne font pas le poids, ils sont beaucoup plus petits.»
C’est une autre histoire avec les milieux de la chasse qui considèrent le lynx comme un concurrent, lui attribuant le déclin des populations de chamois et réclamant que le prédateur soit régulé. À la suite d’une article dans le quotidien «Le Temps» évoquant la «success story» du lynx en Suisse, une lectrice valaisanne s’est insurgée: «Un lynx adulte a besoin pour se nourrir de 50 à 60 bêtes par année... de quelle biodiversité parlerons-nous quand le chamois sera effectivement en voie d’extinction dans nos régions?»
Un équilibre à trouver
«C’est clair que les lynx ont un impact sur les chamois et les chevreuils, reconnaît Antoine Burri, mais les équilibres naturels entre proies et prédateurs sont toujours lents à se mettre en place, il y a des fluctuations, il faut admettre qu’il y ait des périodes où l’on rencontre moins de chamois ou de chevreuils.»
Frédéric Hofmann admet aussi l’influence sur les densités de gibier: «Le lynx a effectivement contribué à la diminution des effectifs de chevreuils présents dans le Jura et les Alpes vaudoises.» Avant d’apporter cette nuance: «Mais il y en a davantage désormais sur le Plateau. Compte tenu des dégâts aux forêts que ceux-ci occasionnent, les chasseurs sont invités à jouer leur rôle de régulateurs de la faune et donc à se déplacer vers le Plateau pour réguler les chevreuils.» Pour Fridolin Zimmermann, il est un peu facile de mettre le déclin des chamois sur le dos unique du lynx: «Il est un des facteurs, mais il y en a d’autres, parfois la planification de la chasse n’est pas toujours appropriée, on tire trop de mâles d’âge moyen, ça perturbe la reproduction. La qualité de l’environnement peut aussi jouer un rôle, les activités humaines, les rigueurs du climat, les maladies et aussi la concurrence d’autres espèces, comme le cerf.» D’autant que ce déclin du chamois est également constaté dans des régions où le lynx est à peu près absent comme en Autriche.
Assainissement des forêts
Les défenseurs du lynx ne manquent en tout cas pas d’arguments pour justifier sa présence chez nous: «Il est utile à l’écosystème forestier, explique Antoine Burri, les cervidés aiment bien consommer de jeunes arbres, ça occasionne des dégâts aux forêts, les prédateurs comme le lynx vont réguler les ongulés pour le bénéfice de la forêt.» Sur cette question, Fridolin Zimmermann reste très prudent: «L’assainissement des forêts grâce au lynx est difficile à démontrer, il y a eu quelques études qui montrent que la présence ou l’augmentation du lynx provoque une diminution de l’abroutissement des jeunes arbres, mais ce ne sont que des études corrélationnelles.» D’autres facteurs tels que la chasse, les conditions météorologiques et les maladies influent également sur les effectifs des ongulés. «En Suisse nous avons un habitat suffisamment varié et hétérogène, si bien que le lynx peut avoir un impact bénéfique sur le rajeunissement de la forêt dans certaines situations et moins dans d’autres.»
Ce qui, selon Fridolin Zimmermann, n’enlève rien au bien-fondé de la présence du lynx en Suisse. On peut avancer d’autres arguments écologiques: «La biodiversité, ce n’est pas qu’une liste d’espèces, ce sont aussi toutes les interactions entre les espèces. L’une de ces interactions est la prédation. Le chevreuil et le lynx interagissent entre eux depuis des millénaires. Le chevreuil ne serait pas aujourd’hui ce qu’il est s’il n’y avait pas eu le lynx, et le lynx ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait pas eu le chevreuil. Les chevreuils qui ont survécu sont ceux qui ont pu échapper le mieux au lynx, et les lynx qui ont survécu sont ceux qui ont le mieux réussi à tuer des chevreuils.»
https://www.migrosmagazine.ch/la-fragile-saga-du-lynx
Le lynx: sa fragile conquête de la Suisse
Cinquante ans après la réintroduction du lynx en Suisse, le bilan est mitigé. D'un côté, on peut parler d'un succès, mais de l'autre, les menaces qui planent sur le félidé sont bien réelles.
Réintroduire un animal, ça n’est jamais gagné d’avance.» S’agissant du lynx, Antoine Burri, gérant de réserve naturelle chez Pro Natura et biologiste, dresse un constat en demi-teinte: «D’un côté, on peut se dire que ça se passe assez bien, avec une population d’environ 200 individus, mais de l’autre, on remarque quand même un appauvrissement génétique dû à la consanguinité.» Les lynx suisses, présents dans le Jura, les Préalpes et les Alpes, sont en effet issus d’une seule et même souche. «À long terme, la survie de cette population n’est pas vraiment assurée, elle risque de s’affaiblir, ou une maladie pourrait la décimer.»
Chef de la section Chasse, pêche et surveillance à l’État de Vaud, Frédéric Hofmann se montre plus enthousiaste: «Pour moi le lynx symbolise un exemple de réintroduction réussie, au même titre que celle du castor.» Un lynx qui bénéfice d’ailleurs auprès du public d’une image meilleure que celle du loup. «Il n’y a qu’à voir les peluches de plus en plus nombreuses dans les magasins.»
Amener du sang neuf
Fridolin Zimmermann, responsable du monitoring du lynx au Kora (organisme chargé du suivi des grands carnivores), propose une analyse plus nuancée: «Bien que le nombre d’individus augmente, l’aire de répartition ne s’étend que très lentement. Si on compare avec le loup et l’ours, le lynx est l’espèce qui a le potentiel de colonisation le plus réduit des trois.»
Certes, reconnaît-il, c’est en Suisse que se trouve «la seule population vitale de lynx de l’arc alpin, mais elle est encore assez petite et vulnérable et peut rapidement basculer sous le seuil de la viabilité démographique. Et elle a quand même une variabilité génétique assez faible si vous la comparez avec la population souche des Carpates.»
La solution existe, assez évidente, mais pas facile à mettre en place: «amener du sang neuf». Autrement dit, importer des lynx. «Mais ce genre de projet ne peut se faire que si une volonté politique existe, avec le soutien des différents groupes d’intérêts, gestionnaires de la faune, chasseurs, associations de protection de la nature.»
Pour l’instant, ce sont surtout les pays voisins qui sont demandeurs de lynx. Une demande à laquelle la Suisse répond parfois. «Mais chaque fois qu’on prélève un lynx, ça serait bien d’en réintroduire un qui vienne d’ailleurs», juge Antoine Burri. Compte tenu de la densité élevée de lynx dénombrés dans le Jura vaudois, Frédéric Hofmann explique que le canton participe à des captures de lynx dans le cadre d’un projet transfrontalier, pour livrer quelques animaux à la région allemande du Palatinat.
La colonisation du Plateau
«Reste qu’il existe des régions de Suisse qui seraient favorables au lynx, note Antoine Burri, mais où il y en a très peu, comme les Grisons ou le Tessin. On ne sait pas trop pourquoi.» Ce qui est sûr, c’est que le lynx colonise très lentement de nouveaux territoires, à l’inverse du loup, capable d’immenses déplacements pour s’installer dans d’autres régions. L’expansion du lynx en plus est freinée par de nombreux accidents de la route et le braconnage. La Suisse ne serait-elle pas trop urbanisée pour le lynx? Fridolin Zimmermann ne le pense pas: «Cela fait maintenant près de cinquante ans que le lynx a été réintroduit en Suisse. Il a pu montrer qu’il a su s’adapter à ce milieu dominé par l’homme, s’y reproduire et a atteint de bonnes densités dans certaines régions de Suisse. L’urbanisation n’est pas un problème aussi important que le fait qu’il a de la peine à coloniser de nouvelles régions.» Et d’évoquer quelques cas de reproduction confirmés, depuis 2012, sur le Plateau: «L’avenir nous dira si une population de lynx va s’installer sur le Plateau, mais cette région est à la fois très attractive au niveau de la nourriture, avec notamment beaucoup de chevreuils, mais aussi très risquée à cause des nombreuses routes.» Le lynx bientôt sur le Plateau? Frédéric Hofmann en doute: «Des individus sont observés sporadiquement, mais les conditions du milieu (réseau routier, chiens, dérangements) demeurent assez hostiles pour permettre son expansion.»
"Il a pu montrer qu’il a su s’adapter à ce milieu dominé par l’homme" (Fridolin Zimmermann)
Qui dit prédateur, dit conflit avec les éleveurs. Un conflit beaucoup plus faible qu’avec le loup. «Les dégâts occasionnés par le lynx aux animaux de rente sont assez faibles depuis 2004 et varient entre 22 et 75 cas suivant l’année», explique Fridolin Zimmermann. Le lynx en effet préfère nettement le gibier aux moutons. Il semble aussi, selon Antoine Burri, que les mesures de protection fonctionnement bien. «Les lynx ont l’air d’être assez peureux par rapport aux chiens, ils ne font pas le poids, ils sont beaucoup plus petits.»
C’est une autre histoire avec les milieux de la chasse qui considèrent le lynx comme un concurrent, lui attribuant le déclin des populations de chamois et réclamant que le prédateur soit régulé. À la suite d’une article dans le quotidien «Le Temps» évoquant la «success story» du lynx en Suisse, une lectrice valaisanne s’est insurgée: «Un lynx adulte a besoin pour se nourrir de 50 à 60 bêtes par année... de quelle biodiversité parlerons-nous quand le chamois sera effectivement en voie d’extinction dans nos régions?»
Un équilibre à trouver
«C’est clair que les lynx ont un impact sur les chamois et les chevreuils, reconnaît Antoine Burri, mais les équilibres naturels entre proies et prédateurs sont toujours lents à se mettre en place, il y a des fluctuations, il faut admettre qu’il y ait des périodes où l’on rencontre moins de chamois ou de chevreuils.»
Frédéric Hofmann admet aussi l’influence sur les densités de gibier: «Le lynx a effectivement contribué à la diminution des effectifs de chevreuils présents dans le Jura et les Alpes vaudoises.» Avant d’apporter cette nuance: «Mais il y en a davantage désormais sur le Plateau. Compte tenu des dégâts aux forêts que ceux-ci occasionnent, les chasseurs sont invités à jouer leur rôle de régulateurs de la faune et donc à se déplacer vers le Plateau pour réguler les chevreuils.» Pour Fridolin Zimmermann, il est un peu facile de mettre le déclin des chamois sur le dos unique du lynx: «Il est un des facteurs, mais il y en a d’autres, parfois la planification de la chasse n’est pas toujours appropriée, on tire trop de mâles d’âge moyen, ça perturbe la reproduction. La qualité de l’environnement peut aussi jouer un rôle, les activités humaines, les rigueurs du climat, les maladies et aussi la concurrence d’autres espèces, comme le cerf.» D’autant que ce déclin du chamois est également constaté dans des régions où le lynx est à peu près absent comme en Autriche.
Assainissement des forêts
Les défenseurs du lynx ne manquent en tout cas pas d’arguments pour justifier sa présence chez nous: «Il est utile à l’écosystème forestier, explique Antoine Burri, les cervidés aiment bien consommer de jeunes arbres, ça occasionne des dégâts aux forêts, les prédateurs comme le lynx vont réguler les ongulés pour le bénéfice de la forêt.» Sur cette question, Fridolin Zimmermann reste très prudent: «L’assainissement des forêts grâce au lynx est difficile à démontrer, il y a eu quelques études qui montrent que la présence ou l’augmentation du lynx provoque une diminution de l’abroutissement des jeunes arbres, mais ce ne sont que des études corrélationnelles.» D’autres facteurs tels que la chasse, les conditions météorologiques et les maladies influent également sur les effectifs des ongulés. «En Suisse nous avons un habitat suffisamment varié et hétérogène, si bien que le lynx peut avoir un impact bénéfique sur le rajeunissement de la forêt dans certaines situations et moins dans d’autres.»
Ce qui, selon Fridolin Zimmermann, n’enlève rien au bien-fondé de la présence du lynx en Suisse. On peut avancer d’autres arguments écologiques: «La biodiversité, ce n’est pas qu’une liste d’espèces, ce sont aussi toutes les interactions entre les espèces. L’une de ces interactions est la prédation. Le chevreuil et le lynx interagissent entre eux depuis des millénaires. Le chevreuil ne serait pas aujourd’hui ce qu’il est s’il n’y avait pas eu le lynx, et le lynx ne serait pas ce qu’il est s’il n’y avait pas eu le chevreuil. Les chevreuils qui ont survécu sont ceux qui ont pu échapper le mieux au lynx, et les lynx qui ont survécu sont ceux qui ont le mieux réussi à tuer des chevreuils.»
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